INTERVIEW AVEC JOSE-MARIE BEL, ESPACE REINE DE SABA
Par Eric LE NOUVEL en DECEMBRE 2012
L'ETHIOPIE ET LE YEMEN, PAYS FEERIQUES NATURELS ?
José-Marie BEL, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je t'ai connu grâce une émission de télévision « Echappées Belles » sur l'Ethiopie il y a quelques années, et j'ai visité ton Espace Reine de Saba à 75019 Paris, attachant cabinet de curiosités, à découvrir absolument. Et par chance, j'ai visité l'Erythrée et le Nord Yémen voilà 25 ans.
1) Selon notre héros Féeric qui recherche le Code des Lieux dans les endroits magiques et ordinaires, « un dieu réside dans chaque lieu... »
Tu as pu voir sur notre site www.feeric-lieuxmagiques.com que TSARFAT est le Royaume moral et spirituel de la France. Tu peux aussi comprendre qu'IS-RA-EL est le pays de Jacob qui combat d'abord face à Dieu et ensuite avec Lui...etc.
- Quel serait donc le le dieu, le Code de l'Ethiopie à travers la kabbale des lettres hébraïques ?
NB : on enlève toutes les voyelles, en ne gardant que les consonnes :
ETHIOPIE : TH-P : Teith - Phé, טף
soit Teith : le bouclier, l'énergie de la connaissance globale, le serpent Orobros.
Correspondant astrologique : le Lion ! Non seulement, l'Ethiopie est à part, mais surtout un monde en soi...
De plus, la Tradition met en garde contre l'énergie négative de la lettre associée, le Hêth = l'obstacle, le péché. Est-ce à dire que l'Ethiopie « trébuche » régulièrement dans son histoire ou avec sa propre histoire (le Négus, le DERG, l'Erythrée...) ?
Mais n'oublions pas, dialectiquement, le côté positif de la lettre Hêth : Hésed, la Miséricorde. Et Dieu sait si l'Ethiopie est gâtée en trésors de Bonté.
Et Phé : la parole.
Là, la correspondance est claire, Addis-Abeba comme siège de l'OUA, son porte-parole...
Et l'addition (טף) Teith-Phé : pays leader, phare spirituel, vigie intemporelle...
L'Ethiopie n'est-elle pas toujours un Royaume, entité morale et spirituelle, comme TSARFAT ?
N'est-ce pas là le sens profond du Credo « Ethiopia Tikdom » (Ethiopie d'abord) ? Tikdom pouvant être interprété en TKDM, soit Tav-Khaf-Dalet-Mem : à la fin, ou pour ne pas finir, combattre pour son renouvellement ? Ou alors refaire du nouveau avec de l'ancien ? L'essor de l'économie éthiopienne plaide pour l'optimisme, tout en sachant que le débat entre tradition et modernité va y prendre une autre ampleur dans le futur.
L'Ethiopie fut jusqu'en 1974, la plus vieille monarchie du monde avec pour origine présumée Salomon et la Reine de Saba. L'ancienne devise officielle de la dynastie salomonide n'était-elle pas ce passage des Psaumes (68,32), « l'Ethiopie tend avidement ses mains vers Dieu, » avec le Lion vainqueur de la tribu de Juda comme symbole.
Que dire alors de l'Erythrée, décodée en R-TH-R, (רטר) Resch - Teith - Resch , soit littéralement, deux Rois pour un même enjeu, soit deux Rois luttant dans un même Royaume ! Game of Thrones in the Horn of Africa ?! De fait, rien de nouveau sous le soleil, parole de Salomon.
Re : Octobre 2014. Parution du livre "Le Trône d'Adoulis" de Glen Warren BOWERSOCK (Albin Michel) :
"C’est un chapitre radicalement nouveau de l’Histoire que Glen Bowersock nous fait découvrir : le violent conflit qui, au VIe siècle de notre ère, opposa Éthiopiens chrétiens et Arabes juifs dans le sud de la Péninsule arabique. Le royaume militant d’Himyar, une nation d’Arabes de souche convertie au judaïsme, persécuta la population chrétienne alentour, déclenchant alors la riposte des Éthiopiens du royaume d’Aksûm, soutenus par l’Empire byzantin qui vit là l’occasion de s’opposer à son ennemi perse en se ménageant une base de pouvoir en Arabie.
Au cœur de ce drame historique se trouve un texte gravé sur un trône de marbre érigé à Adoulis, cité portuaire d’Éthiopie. L’interprétation fascinante qu’en propose Glen Bowersock nous plonge directement dans les conflits religieux qui secouèrent la région de la mer Rouge dans l’Antiquité tardive. Ainsi l’étrange histoire de l’Arabie juive est-elle à l’arrière-plan de l’essor de l’Islam et de l’effondrement de l’Empire perse devant les Byzantins."
Cela ne pouvait pas coller : chacun son drapeau maintenant, en Addis et en Asmara, au prix de guerres surhumaines successives. Dans un siècle, on reparlera du sens et du résultat de tout cela...
Il est bien loin le temps où résonnait le slogan "Awatné afash !" ("la victoire pour les masses!") dans les campagnes et villes libérées par Izbaoui Goumbar (F.P.L.E.)
"Betsai"-Président Issayas, qu'as-tu fait de l'Erythrée fièrement conquise après 30 ans de lutte ?
De même que le Lac Tana donne naissance au Nil Bleu, qui traversera ensuite le Soudan et l'Egypte, il existe une chaîne symbolique entre ce Lac qui conserve les tombes des rois éthiopiens et la Vallée des Rois égyptiens, sans oublier l 'Egypte Noire de Méroé au proche Nord-Soudan. Le lien spirituel davidique et symbolique se poursuit bien sur avec Israël, et même par extension en France avec sa Vallée des Rois en pays de Loire.
NB : Rappelons les nombreux châteaux, comme autant d'étapes de l'histoire de France, qui s'égrènent de Gien à Orléans (Sully-sur-Loire, Cheverny, Chambord), d'Orléans à Blois (son Palais Royal, Beauregard, Chenonceaux,...), Amboise-Tours (Chinon, Azay-le-Rideau, Villandry), Saumur-Angers (Fontevraud...), etc.
2) Il existe un cocktail de clichés fabuleux pour l'Ethiopie : les paysages, l'histoire - Salomon et la Reine de Saba, Pount, Axoum, Lalibela, le Kebra Nagast et l'Arche d'Alliance, les Debtaras, la « tribu oubliée » des Falashas - les Rastas, Lucy, etc. L'alphabet amharique interpelle. La présence de 65% du massif montagneux africain y donne le caractère de « toit du monde, » etc.
Pour toi, l'Ethiopie est sûrement une deuxième patrie. Cite-nous vos éléments prioritaires de la magie de ce pays.
3) Enfin, le revers de la médaille n'est-il pas trop cruel entre monde fabuleux et monde réel ?
4) Et pour faire la transition vers le Yémen, Lilith et la mer Rouge ?
Selon une source de la tradition hébraïque, Lilith, chassée du Paradis par l'homme, se serait réfugiée sur les côtes de la mer Rouge, et n'aurait trouvé que la compagnie des animaux et des démons...
Pour faire un parallèle avec le proverbe breton, « qui voit Ouessant voit son sang », qui voit la mer Rouge ne sera-t-il irrémédiablement marqué d'une nostalgie lancinante ?
N'est-ce pas aussi dû à la marque ancienne du Rift ? Dans notre logique, celui-ci est-il une autre clé pour appréhender les dieux de ces lieux ? Les trois religions abrahamiques y coexistent.
Est-ce par hasard si Arthur RIMBAUD est venu traîner ses guêtres par là ?
YEMEN : YMN : (עמן) Ayin - Mem - Noun,
soit Ayin : la source ou le regard,
Mem : la matrice,
et Noun : la tradition.
Le Yémen serait la source, la matrice de la tradition, ou alors l'ouverture à l'origine de la tradition. Quelle interprétation préfères-tu ?
Les habitants du Yémen, les Arabes et pendant longtemps les Juifs, étant réputés de souche "pure" encore aujourd'hui, aussi patrie de Ben Laden, est-ce à dire que la pureté, l'authenticité, sont les traits de ce pays ? Une pure étincelle d'Orient qui demeure ?
En cette époque d'obscurcissement graduel de l'Orient extérieur, sûrement cyclique, il n'est pas anodin de faire le point.
En général, quand un code se termine par N (Noun), c'est le signe que la tradition verrouille le lieu, ou le chemin de vie de la personne. Le confirmes-tu pour le Yémen ?
Et quelle tradition pourrait-il générer ?
Pour moi, ce pays, l'un des plus beaux du monde, surtout quand vous le survolez à l'aube, est à coup sûr créateur de beauté.
Sa féerie permanente : les paysages, l'architecture...quoi d'autre ?
En conclusion, y a-t-il une féerie naturelle inaltérable de l'Ethiopie et du Yémen - véritables atomes-germes d'humanité - qui nous ramène à notre origine ? C'est-à-dire à un stade de notre évolution :
« L'Homo sapiens entre en scène voici 200 000 ans en Afrique, voyagera et atteindra l'Europe, il y a près de 40 000 ans. Il sera alors connu sous le nom de l'homme de Cro-Magnon (…) (ce qui nous ramène) à la théorie davantage étayée dite de l'Arche de Noé qui fait de l'Afrique l'unique berceau de l'humanité, avant une migration sur l'ensemble de la planète... » (in www.lestoutespremieresfois.com)
Cet héritage-là, mémoire du vivant, reflet d'un temps révolu, ou d'un âge d'or supposé de notre lointaine enfance sur terre, ne saurait disparaître de notre patrimoine.
Qu'aurait pu dire Théodore MONOD à ce sujet ?
Paris, Décembre 2012 © Eric LE NOUVEL
REPONSES DE JOSE-MARIE BEL - ESPACE REINE DE SABA
61 ans, Ethno-anthropologue, Architecte et Plasticien
JMB : José-Marie BEL - ELN : Eric LE NOUVEL
(JMB)
Alors, comme j'ai vécu au Maroc, au Sahara, dans toutes ces régions-là où l'architecture en terre domine, j'ai voulu aller dans ces régions-ci, c'est-à-dire en Ethiopie.
En France, j'étais étudiant en Architecture. Il y a eu un article sur le Yémen, sur son architecture, par Jean-Pierre HAÏM, et qui était venu au Yémen, et cela m'a complètement séduit. Je travaillais pour cette revue. Je me suis dit : «mais, il faut que j'y aille. » Là, je retrouvais certaines de mes racines du Maghreb, du Maroc, du Sahara. Donc, j'y suis allé. J'ai fait un grand séjour de 5 mois, et un double séjour très pointu, à savoir le Yémen, l'Ethiopie, mais aussi, cela te concerne, en passant par l'Erythrée.
C'était en 1975, et j'étais venu d'Egypte, en descendant toute l'Egypte, le Soudan, l'Erythrée, le Yémen, la mer Rouge, et l'Ethiopie. Voilà un peu l'histoire. Et à partir de là, comme peu de choses se savaient, on racontait des âneries sur cette région, en particulier sur le Yémen, en disant que son architecture était mésopotamienne, inspirée de Babylone. Ces points étant rapportés, et me parais-sant maladroits, j'ai voulu y travailler.
Et c'est pourquoi aujourd'hui je me retrouve en ta compagnie. Depuis 38 ans, je travaille sans cesse sur la mer Rouge, ses peuples, le Yémen, l'Arabie du Sud, l'Ethiopie et la Corne de l'Afrique.
(ELN)
-
Parlons-nous du même ensemble culturel entre l'Ethiopie, le Yémen, l'Erythrée, la Somalie. Y a-t-il une unité ? L'archéologie et l'ADN confirment le fondement de l'échange ethnique correspondant au mythe ou à la réalité du mariage entre le Roi Salomon et la Reine de Saba. Il y a bien là un début de vérité au niveau des peuples.
Eh bien, d'une certaine manière, oui. Il faut considérer la géologie et la géographie. C'est absolument fondamental. Il y a à peu près 25-30 M d'années, le continent asiatique s'est détaché du continent africain. Ce qui a donné naissance à cette mer Rouge, cette mer étroite et fermée, et au golfe d'Aden. Si bien que la géologie et la géographie, comme le climat, sont très proches et intrinsèquement liés. A savoir les vents de mousson, les courants, la formation des nuages, l'évaporation de l'eau, de l'Océan Indien, du Golfe d'Aden et de la mer Rouge, ont des effets considérables sur les peuples, la végétation, l'agriculture, bien entendu, et sur tout être vivant.
-
Toi qui a beaucoup voyagé, tu peux attester, que le lieu, le pays, la terre, influent considérablement sur la psychologie des peuples ?
Absolument, et sur les modes de vie, à savoir, la composante de la terre, la terre arable, à partir de là qu'est-ce qui peut pousser, qu'est-ce que l'on fait par rapport à l'altitude ? Dans cette région tropicale, sub-tropicale ou équatorienne un peu plus bas, toute la vie, quelle soit au pays Afar ou à Djibouti, de l'Erythrée ou de l'Ethiopie. Dans ces terres basses, il y a le même type de culture, le même type de vie que dans la Tihama, le long de la côte de la mer Rouge, du côté arabique, Alors, ceci est un premier point.
L'autre est que les brassages de population ont été tels que depuis la création de ces civilisations importantes qui sont la région de l'Egypte, du bassin du Nil, bien sûr qui va jusqu'à Méroé (Nord Soudan), mais celle que l'on peut dire essentiellement de la Mésopotamie, toute cette région irakienne allant jusqu'à l'Iran, jusqu'au Sud du golfe Persique. Eh bien, ces deux grandes civilisa-tions, qui sont tout de même antérieures à celles de la Grèce et de la Région méditerranéenne, elles ont eu besoin de main-d'oeuvre, d'échanges et de produits divers. Il y a 5000-8000 ans, l'encens et la myrrhe, qui sont essentiellement les deux composants qui rentrent dans la spiritualité de ces civilisations, ces produits résineux, notamment, et l'or, les métaux précieux, les étoffes, c'est autre chose, devaient absolument rentrer en rapport avec ces civilisations qui sont devenues extrêmement puissantes, et qui ont trouvé leur apogée il y a 5000 ans à peu près.
-
Ces produits dont tu viens de parler authentifient l'Orient. Cette région serait-elle un pur morceau d'Orient ?
A partir de là, j'en reviens à ta question, parce que là il est question de nature, de géologie, la morphologie, la climatologie, et ces produits, nous pourront en parler, sont essentiels, c'est le cas de le dire, puisque cela produit aussi de l'essence, l'encens et la myrrhe, le bosfolia et le komifora, ces produits proviennent de la région citée, la Corne de l'Afrique, l'Arabie du Sud, la Côte Ouest de l'Inde, et l'Ile de Socotra, admettons.
Ces pays-ci sont producteurs de ces résines, fondamentales, indispensables, et qui ont circulé par les voies caravanières, terrestres, sablonneuses, ou par les voies maritimes, mais assez peu pour différentes raisons. Et alors là, il y a eu ces brassages de population. Les Arabes d'Arabie qui sont constitués de peuplades, venant de Palestine, par exemple pour les Juifs du Yémen, dit-on, ces différentes communautés arabiques, constituées de Bédouins, de personnes des montagnes, etc. ont formé des groupes spécifiques, et ces groupes sont devenus puissants, à l'époque sabéenne, donc à peu près 1000 ans avant J-C. Ces peuplades l'étaient sans doute avant, bref, mais à cette époque-là, ces royaumes sudarabiques ont été puissants, pour différentes raisons. Le captage de l'eau, les routes caravanières, des produits plus ou moins secrets, et dont ils avaient les prérogatives et l'exclusivité.
Mais, en région de Corne africaine, les peuplades dans cette région-là, l'Ethiopie, la Somalie, toutes ces régions que l'on connait aujourd'hui avec ces noms, sont constituées de peuplades à l'origine animistes, et qui n'avaient pas de grandes civilisations. C'est ainsi. Et donc les Arabes, gérant les routes caravanières, avaient besoin de main-d'oeuvre, et c'est là tout de même un point dont on parle peu, le commerce très juteux d'esclaves, de main-d'oeuvre absolument indispensable, pour toute la région mésopotamienne, d'Arabie, de Palestine, d'Egypte et d'ailleurs.
Donc, brassage de populations. Quand on parle d'Arabie, on parle d'arabes plus ou moins « purs », tous ces termes sont délicats, par contre le Nord de l'Ethiopie, que l'on appelait jadis l'Abyssinie, vient du mot arabe, Habash, peuple mélangé avec ces échanges commerciaux. Les Indiens, les arabes, certaines tribus est-africaines.
-
Malgré tout ce brassage, le Soudan - tu parlais de Méroé - ou le Nord-Soudan, ferait-il encore partie de cet ensemble culturel des pays que nous avons évoqués, hormis le lien commun de la mer Rouge ?
Oui, un peu, mais indirectement. Les Nubiens (du Soudan) sont assez particuliers, il a les Bicharas, etc, des tribus diverses, mais les Nubiens sont vraiment à part, c'est à la limite de la civilisation égyptienne, à la limite de Philaé, d'Abou Simbel. Et leur civilisation est tardive.
- La civilisation voisine est plus ancienne. A une époque, le Royaume d'Axoum s'étendait jusqu'à la mer Rouge.
Oui, tout à fait, cet aspect là interpelle. Par exemple, les Pyramides de Méroé, elles sont très angulaires, elles n'ont pas cette base, et cet angle si caractéristique des Pyramides de Saqqara, ou de Guizeh. Elles sont beaucoup plus angulaires, plus pointues. Les Pyramides de Méroé se sont disons inspirées des Pyramides des Egyptiens du Nord. Par contre, les stèles d'Axoum, quand on est là, la spiritualité est omniprésente, mais pour moi elles s'inspirent de la région de Louqsor, mais elles s'inspirent aussi, dit-on, et c'est évident aussi, de l'architecture du Yémen, et en particulier que l'on retrouve dans les mosquées, de façon plus tardive.
- Pour continuer sur la mer Rouge, il y a une grande histoire commune, mais vu de l'extérieur, aujourd'hui, certes il a une unité géographique, mais à chaque extrémité, ce n'est plus tout-à-fait le même monde.
Oui, c'est vrai, ce n'est pas le même monde du tout. L'Ethiopie, toute cette région de l'Abyssinie, cet aspect est intéressant : Habash signifie « les gens mélangés », avec les noirs, un peu bâtards, et c'est assez péjoratif. Nous, les Européens, à partir du 18° siècle, nous avons francisé, européanisé ce terme, en disant Abyssinie. Et Ethiopie, c'est intéressant, cela vient du grec Ethiope. Et pourquoi les Grecs ? C'étaient en majorité des commerçants très hardis en mer Rouge, au Yémen et en Erythrée, cette région du Nord de l'Ethiopie. Il y avait aussi des échanges spirituels, qui ont influencé les arts, l'écriture, évidemment. Le terme Ethiopie vient de là.
Les puissances occidentales d'Egypte, de Mésopotamie, ou de Palestine, n'ont pas eu une influence ultra-considérable dans ce coin. Effectivement, il y a des différences. Les Egyptiens du Nord, comme le peuple de Méroé, avaient peur de l'Abyssinie, de ces peuples des montagnes, de la région du Sémien, parce qu'il y avait l'eau, le problème de l'eau, comme quoi. Le robinet était fermé six mois dans l'année, l'eau arrivait comme ça, avec ses cataractes ultra-denses, avec cette eau très généreuse. Il y avait une grande inquiétude, et là on reviendra à cette spiritualité, il y avait une inquiétude de ces peuples, noirs, de la montagne, et qui étaient chargés, dit-on, de mauvais esprits. Il y avait une grande crainte.
Quant aux Arabes d'Arabie du Sud, de la Péninsule arabique, ils avaient trouvé le bonheur, et tout cela était très juteux. Il y avait des produits à commercer, à tirer. Il y avait des peuples, de la main-d'oeuvre, à foison. Par exemple, les îles Dahlak, au sud de la mer Rouge, comme les îles de Socotra, pour l'Océan Indien, étaient des îles de stockage d'esclaves. Tout comme Zébid au Yémen, où Pasolini tourna des scènes de son film Les Mille et une nuits, ville glorieuse, donc, qui a fructifié grâce à l'islam, au trafic d'esclaves, aux dattes, et à tout un tas de choses.
- Donc, il n'y a pas d'unité dans cette mer Rouge, comme il y a en mer Méditerranée. Au fait, pourquoi l'appelle-t-on « mer Rouge », à cause de la couleur des falaises qui s'y reflètent ?
Cet aspect est intéressant, j'y ai beaucoup travaillé, cela m'a énormément interpellé pendant des années. J'ai lu beaucoup de choses. Et puis, j'ai fait des constats. Une parenthèse sympathique :
Une fois, c'était en 1989, je suis avec des amis, on va au bord de la mer Rouge, je leur dis, c'est bien, c'est l'après-midi, au mois de Mars, au début du Ramadan, et, bonne période, on va aller se baigner au bord. On arrive, et à 500 m de là, il y a des palmiers doubles, et je sens une odeur nauséabonde, épouvantable. Le rivage est plein de mousses blanches, avec des algues, pourries et infectes. Elles ont été retirées, décrochées du fond marin, suite à une tempête tout-à-fait récente. Ces algues étaient mourantes. Elles étaient verdoyantes, alors que normalement, elles sont rouges.
Il y a un type d'algues rouges spécifiques dans les fonds marins. Certains disaient là que cela pouvait expliquer le terme de mer Rouge.
- D'ailleurs ce nom est ancien, il date de l'Antiquité...
Certains disent aussi qu'il vient de ces fameux coraux rouges ; de fait, je ne crois pas que ce soit cela. Je reviens à ce que tu dis. Je t'ai parlé des Grecs, qui se sont installé à Adoulis, à côté de Massawa, qui avaient un comptoir très important, qui entretenaient des liens caravaniers jusqu'à Axoum.
Ce n'est pas si ancien l'appellation mer Rouge. Mais pour moi, effectivement, « rouge », vient du terme « Erythrée. » Eritrea est un mot grec. Ayant vécu là-bas nombre d'années, en toutes saisons, au bord de la mer Rouge. A Aden, effectivement quand il y a les premiers rayons de soleil, les premières lueurs qui arrivent, les montagnes qui sont assez proches, à 20, 30, 50 km du rivage, les montagnes qui sont ensoleillées avant l'évaporation et la brume, de la mer ou de l'océan, et bien, effectivement, avec les premiers rayons du soleil, les montagnes sont rougeoyantes, pourpres.
- Comme le mont Sinaï en Egypte ?
- Même en Jordanie, quand on aperçoit les montagnes, elles sont rouges. C'est la même chose ?
C'est presque la même géologie. Il a des granits, des schistes, du micaschiste, parfois du basalte, et des calcaires. Et ensuite, cet aspect rougeoyant se transforme très rapidement en violet violacé, c'est beau. C'est le cas le matin, comme le soir, cela dépend évidemment des rayons du soleil. Et après, cela devient complètement grisâtre, plat comme effet, compte tenu de l'humidité.
Et ce qui est intéressant, c'est que la dénomination mer Rouge a été mis dans les cartes très tardive-ment. Elle était peinte en rouge sang vers les 11°-13° siècles après J-C, dans les premières cartes. C'était très curieux de voir le monde connu à l'époque, la Méditerranée, la mer Rouge, un peu l'Océan Indien, la Chine, l'Asie et l'Himalaya.
- Ne pourrait-on pas dire non plus que cette couleur renvoie au sang, soit un monde cruel ? Je citais ce célèbre proverbe breton « Qui voit Ouessant voit son sang . » La mer Rouge a un pouvoir d'attraction indéniable qui semble marquer au « fer rouge » ceux qui la connaissent. Cela a été mon cas. Il est vrai aussi que mon père, militaire de carrière dans la Marine était passé par Djibouti et Harrar. Mais qu'est-ce qui marque tant dans cette région pour qu'on y reste attaché ?
Je ne suis pas sûr que la mer Rouge soit liée au sang et à la violence.
- En hébreu, le sang c'est « Dam », mais c'est aussi l'âme...est-ce que cela te donne un autre éclairage ? Le sang, c'est la vie...
Oui, de toute évidence, et puis cette mer, comme le sang, permet à la vie de circuler. Le sang irrigue de part et à d'autre. En ce moment, je suis en train de me rafraîchir la tête en lisant un ouvrage de DESGRANPRE, en 1801-1802, qui vit à Moka au bord de cette mer Rouge, et qui parle de ces peuples, des Abyssins, comme violents, vifs, parfois réactifs. Mais aussi, il ne faut pas oublier cet aspect, cette mer Rouge, à un moment, s'appelait mer arabe ou mer d'Arabie, même à l'époque des Portugais au 16° siècle, était une mer non grata, c'était une mer fermée, et depuis l'avènement de l'islam au 7° siècle, c'était considéré comme la mer des Musulmans. Cela a créé beaucoup de choses.
- Pendant la longue guerre d'Erythrée-Ethiopie, on racontait que les Arabes, notamment le Koweit, soutenaient les front de libération, pour que la mer Rouge reste un « lac arabe .»
Effectivement, on en revient à çà. Et en ce qui concerne le Golfe persique, c'est le nom donné par les Iraniens et les Perses, mais pour les Arabes, c'est le Golfe arabique. Pour tous les Arabes du coin, on ne dit jamais Golfe Persique, mais arabique. Surtout pas. C'est un blasphème.
Malgré tout, il faut bien distinguer des choses. Les peuples d'Erythrée, et des rivages côtiers de la mer Rouge, ne sont pas les mêmes que ceux qui sont à l'intérieur des terres. C'est très différent. Il y a des intermédiaires entre les peuples des hauts-plateaux et de la côte.
- Maintenant pour en revenir sur la question initiale, l'Ethiopie et le Yémen sont-ils des « pays féeriques naturels » ? Un monde fabuleux ne nous y attend-t-il pas ? Les clichés ne manquent pas. Il y a peu de pays au monde qui aient un tel pouvoir d'attraction.
Tout dépend de la définition du mot « féerique. » Je suis d'accord avec la tienne. C'est une région d'une force et d'une puissance incroyables. Il y en a d'autres, bien entendu, en Asie, tout est relatif. Mais en terre africaine, mis à part le Maghreb, dans toute la région Nord saharienne, je ne connais pas de régions aussi puissante géologiquement, historiquement, et avec ces peuples-là. Et symbo-liquement.
Ce point d'ancrage est lié à ce que l'on a dit précédemment, n'est-ce pas ? Il a permis à des peuples de s'installer, de croître, de se développer, et de créer des civilisations. Ces peuples se sont nourris, faut-il le dire, d'influences étrangères, et les Ethiopiens des hauts-plateaux du côté de Lalibela ou d'Axoum, certains ont du mal à considérer cela. On pourra peut-être en parler.
Mais, effectivement, c'est une région qui a été propice à la sédentarisation, permettant de faire des cultures, d'élever du bétail, et de créer des groupes sociaux constitués et forts.
Avec les échanges et ces produits qui pouvaient être l'encens, la myrrhe, et également, la malachite, les oeufs et les plumes d'autruche, les étoffes venant de Chine ou d'ailleurs, l'or, les métaux, le travail de la pierre, il y a une foule de choses. A partir de là, effectivement, des civilisations se sont nourries, se sont construites et se sont protégées.
- Ils ont aussi créé leur propre identité particulièrement originale grâce à ce creuset d'influences multiples. L'Ethiopie en tant qu'entité morale, spirituelle et culturelle existe en tant que tel depuis plusieurs siècles. Elle a été façonnée par l'histoire. Elle existe dans sa forme mature depuis combien de siècles ?
En ce qui me concerne, ces régions du Nord ont vécu une influence, c'est ainsi, et nous y travaillons encore, liée à l'Egypte, Méroé et l'Arabie du Sud, des puissances indéniables. Le Yémen, la région du Yémen a joué un rôle fondamental dans la civilisation disons abyssine, ou de la Corne de l'Afrique. Et c'est ainsi. Je considère que l'Arabie du Sud était beaucoup plus propice au dévelop-pement autant spirituel qu'architectural; la conception des choses, de l'environnement, la maîtrise de l'environnement pour vivre, et le mieux possible. Pourquoi et comment ?
Parce que cette région-ci a permis de créer des liens entre l'Inde, l'Extrême-Orient, toute la région mésopotamienne et le Golfe persique, en liaison avec la Palestine, j'en parle sans cesse, toute la région de Gaza et de Jérusalem, toute la région méditerranéenne, du Croissant fertile, mais également la région égyptienne.
Cette civilisation-là qui était la plus peuplée de toute l'Arabie, 1000 ans avant J-C, et sans doute avant, a créé des palais des architectures, des voies caravanières, des barrages très sophistiqués, la retenue d'eau, pour prospérer. Et cela n'était pas suffisant, il fallait absolument que les Arabes du Sud aillent de l'autre côté de la mer Rouge en liaison avec les civilisations du Nil.
- Grosso modo, l'Ethiopie, le Yémen que l'on connait actuellement, il faut remonter à quel siècle pour retrouver ce qu'on y trouve encore aujourd'hui ? On a l'impression que ces pays ont atteint une maturité, qui dure depuis des siècles, et tant mieux, parce qu'elle conserve leurs traditions. Quand on va en Ethiopie aujourd'hui, on remonte le temps jusqu'à quel siècle ? Bien sûr, on ne parle pas d'Addis-Abeba, mais de l'Ethiopie profonde et éternelle.
Tout dépend des régions. En dehors d'Addis-Abeba, au Sud, nous sommes dans des régions animistes, où se trouvent des stèles levées, des phallus, et de très nombreuses pierres levées qui sont des sortes de phallus, avec des représentations de personnages de type sud-arabiques, avec des sortes de barbes striées de lignes droites verticales allant vers le bas. Et qui portent un pagne avec une sorte de poignard - la Djambia, ou la Gandja du Sultanat d'Oman - On retrouve ce même type de représentation en Arabie aussi. Cela remonte environ à 5-8-10 siècles avant J-C.
La région du Harrar, où vivait RIMBAUD, MONFREID, où Richard BURTON est passé en 1856, avant eux, c'est une région très riche, parce que c'était, et c'est toujours le cas, une ville très riche, très marquée par l'histoire, parce qu'elle était sur le chemin de cette région, où je parle de ces stèles, ou il a des peuplades encore animistes, et aujourd'hui très islamisées, et parce que c'est ainsi, et que la ville de Harrar était sur le chemin des bords de la mer Rouge.
Il y avait des liens, et là l'islam a gagné énormément à partir du 7° siècle. Néanmoins, les régions centrales, comme le Lac Tana, où nous sommes à l'intérieur des terres, pas très loin du Soudan, et toute la région au Nord du Lac Tana, qui est séparée par les hauts-plateaux et les hautes montagnes du Sémien, il y a toute cette région qu'on appelle le Tigré ou le Tigray, qui est pour moi historiquement la plus importante de toute l'Ethiopie.
Pour continuer sur l'histoire de l'Ethiopie, l'islam s'y est répandu très rapidement, et en particulier vers le 9°- 10° siècle, et qui a eu cette adhésion dans la région du Harrar. Cependant, à l'époque du Gragne, un chef guerrier qu'on appelle le Gaucher, Gragne, et qui a décidé d'une certaine manière d'unifier toute l'Ethiopie pour la rendre musulmane. Le commerce était extrêmement florissant en particulier avec le café, etc. et avec le Yémen, l'Hadramaout et bien d'autres régions.
Et avec le Gragne, c'est un changement très important qui s'est déroulé. Il a fédéré et annexé des tribus animistes, de type négroïde dans cette région du Sud, et les a enrôlé pour attaquer toute la région du Nord, qui était la région hautement chrétienne, au 16° siècle.
Néanmoins, pour en revenir à Lalibela, qui est un exemple très intéressant entre le déclin d'Axoum, très haute ville spirituelle, considérée dans les textes sacrés comme faisant partie des quatre villes saintes du monde connu à l'époque antique, du temps de Jésus-Christ.
Après, il y a eu ce déclin à cause des Juifs. On considère que la Reine Judith et tous les Juifs de cette époque, le judaïsme, ont anéanti toute la spiritualité du Tigraï, au Nord de l'Ethiopie. Et c'est à partir de là qu'une tribu, qu'on appelle les Agoués, a décidé de créer et de construire Lalibela, comme la nouvelle Jérusalem. Parce que nous sommes à la pleine époque de la fin des Croisades.
Jérusalem et le saint Sépulchre risquaient de disparaître, à cause des invasions musulmanes, et qu'ici avec l'aide évidente d'architectes, de décorateurs et de religieux, venant d'ailleurs - on parle même des Templiers ! - que Lalibela fut construite en quelques décennies.
- Pour anticiper la chute de Jérusalem ?
Quelle prétention ! Une telle région fait écho à notre civilisation. Le mythe de la Reine de Saba et du Roi Salomon, plus tard, les Rois mages, l'encens, la myrrhe, plus tard, le Roi des Rois, toute cette lignée dynastique, c'est considérable. Et au début du 20° siècle, cette religion sectaire, le rastafarisme. C'est bien la présence d'une force spirituelle importante.
Axoum, on vénère les morts, avec des stèles immenses, de style phallique, ou des obélisques, de type égyptien. Lalibela, plus tard, avec le soutien des prêtres éthiopiens, et aussi syriaques, de communautés d'Alexandrie, ou d'ailleurs, ont créé cette ville souterraine, avec ses églises souterraines cachées, à tel point qu'il peut y avoir des incursions de tribus, on ne voit rien, c'est caché.
Aujourd'hui, Lalibela vit cette renaissance grâce aux moyens de circulation, permettant sa redécouverte. Donc, les religieux en Ethiopie, sont les gardiens et les détenteurs de leur histoire. Heureusement, ils ont aussi le guez, qui est leur latin, et qui perdure. Heureusement aussi qu'ils ont des subsides, et qu'ils se sont affranchis d'Alexandrie à la fin du règne d'Hailé SELASSIE. Et puis finalement, d'une certaine manière, ces représentations rupestres, dans les églises, souterraines, ou autres, il y a de multiples symboles qui perdurent.
- C'est l'âme de l'Ethiopie, là...
Incontestablement, pourquoi ? Parce que les Sabéens ont prospéré ; alors du côté Ethiopie, on dit Sabéens, c'est nous, et du côté du Yémen, c'est eux ! Pour moi, il faut être très objectif, les Sabéens sont des Yéménites à l'origine, c'est le pays de la Reine de Saba, donc ils sont Sabéens. C'est du côté de Mareb, de l'Hadramaout, de Shabouat. L'origine du Royaume de Saba, c'est bien cette région-là.
- La réalité du couple symbolique Roi Salomon-Reine de Saba perdure : il y a bien deux pôles face à face de chaque côté de la mer Rouge.
Il y a un couple Ethiopie-Yémen, une très bonne relation. Et je ne crois pas qu'il puisse y avoir des rixes, de grands dangers entre eux. Il y a un équilibre dans une sorte de Ying et de Yang. Et comme tu le sais, nous n'avons pas de preuves de l'existence de la Reine de Saba, mais mythiquement, spatialement, dans l'ADN, et dans la mentalité de chacun, c'est écrit. Dur comme fer, de part et d'autre de la mer Rouge, les peuples reconnaissent leur appartenance au Roi Salomon et à la Reine de Saba.
Cet aspect-là est très intéressant. Pour les Ethiopiens, il n'y a pas de gêne, car ils considèrent venir de la Tribu de Juda, etc. Mais pour les Yéménites, trouver cette appartenance au judaïsme, quand il en a aujourd'hui qui se veulent purs musulmans, c'est ainsi. Pour finir, à l'époque de la poignée de mains Arafat-Bégin, que nous avons saluée, et qui devait évoluer positivement, j'ai un ami yéménite qui me disait :
-
« j'en ai assez de toute cette histoire avec ces juifs,... »
-
Je lui disais : « Tu es de quelle région ? » -
-
« de la région d'Amran (au nord de Sanaa.) » -
-
« Tu sais, la région d'Amran était une région entièrement juive avant l'islam. Tes ancêtres étaient Juifs. »
- Et oui, comme à Fès au Maroc...
- « Quoi ! Tu me dis çà! »
- « Comme en l'an 550-600, vous étiez chrétiens. »
- « Comment ?! »
Voilà, il faut se battre pour restaurer la vérité.
- Permets-moi d'insister, il a peu de pays au monde qui permettent une telle remontée dans le temps et à cette humanité ?
Oui, mais ce n'est pas énorme, 1000, 800 ans avant J-C, il faut le reconnaître. En Asie Centrale, c'est beaucoup plus, la Chine, c'est beaucoup plus, l'Egypte, n'en parlons pas. Et c'est intéressant de penser qu'il y a 3000 ans d'histoire dans cette région, pour nous, c'est impressionnant, mais nous, on en a aussi pas mal d'histoire, Stonehenge, et toutes les pierres levées de Bretagne ou d'ailleurs. Néanmoins, cette civilisation s'est développée rapidement, par nécessité, et d'une certaine manière, par opportunité géographique.
Il faut bien considérer que cette région du Tigraï, et cette région du Yémen, sont les régions où se trouve la plus grande densité de royaumes au km2. C'est-à-dire des royaumes indépendants, il y en avait à peu près tous les 50-80 km. Ce qui est considérable. Des sortes de petits royaumes, comme nous autres en France, nous sommes un peu dans la même configuration. C'est une région qui a prospéré, et s'est nourrie de ces échanges caravaniers, en faisant circuler des produits d'une région à l'autre.
Tout a changé, à partir de la découverte des vents de mousson, au 1°-2° siècle après J-C, et quand avec des routiers, toutes les notes ont été consignées, les rivages côtiers, les vents de mousson, un moment où on peut circuler en bateau, un moment où on le peut plus, et au moment où le mono-théisme s'est développé. Là, on en était au polythéisme, le monothéisme s'est développé, le judaïsme n'a pas eu d'influence considérable pendant plusieurs siècles, c'est un fait. Néanmoins, en Ethiopie, le judaïsme a été très marqué, et l'est toujours et d'une façon considérable.
A la naissance du christianisme, entre le 1° et le 4° siècle, il n'y a pas eu d'influence considérable, mais c'est vers l'an 280, 300, 350, que l'Ethiopie, par un effet de circonstances, sans doute lié à cet aspect spirituel, fondamental, très important de cette région, que l'adhésion au christianisme a été presqu'immédiat. Et donc a été teinté de judaïsme. Et là, on va arriver à l'aspect « féerique », à l'aspect rituel, cultuel, parce que, l'animisme est encore très régnant,…
- Comme dans toute l'Afrique...
Il y a un mélange considérable de choses. Disons, on s'est inspiré des écrits de la Bible, ca été adapté dans cette région d'une certaine manière, et après, quand il y a eu l'adhésion du christianisme pour les Chrétiens d'Ethiopie ; Au Yémen, les habitants ont été aussi des chrétiens pendant à peu près 75 ans, comme les Abyssins...
- Comme dans le Maghreb aussi, à certaine époque, avec l'évêque d'Hippone,
Au Yémen, cela a été avec les Abyssins, avec un certain Abou Nowas, qui a fait une incursion au Yémen, parce que les Juifs du Yémen persécutaient les Chrétiens. En fait, s'il y a eu des Abyssins au Yémen, c'est parce que il fallait aider à la restauration de barrages, à Mareb notamment.
- On pourrait dire qu'aujourd'hui, l'Ethiopie reste encore un Royaume, sur le plan moral et spirituel, un phare intemporel, inaltérable, au moins encore dans les esprits ?
Oui, encore dans l'esprit des Ethiopiens, autant que possible, qui pratiquent leur religion pure, qu'ils considèrent à l'origine de la chrétienté, oui. Néanmoins, depuis 20 ans, il y a des soubresauts consi-dérables, qui se déroulent, à savoir, les moyens de communication sont complètement différents, de plus en plus, avec les téléphones portables, internet, etc.
Depuis le 11 Septembre, il y a eu des bouleversements. Le prosélytisme musulman gagne, d'une manière considérable. Prosélytisme aussi, des Adventistes divers, issus de l'Eglise protestante, qui gagnent énormément. Aujourd'hui, la population est passée en Ethiopie de 35 M d'habitants à 82 M d'habitants en 40 ans !
Quand je vais là-bas, je considère l'équivalence d'un mois en Ethiopie, j'ai fait les calculs, il y a à peu près 50000 naissances en un mois, c'est considérable. Et beaucoup moins de décès. Si bien que, l'accroissement de la population pose un très gros problème. Cela change beaucoup de choses. Aujourd'hui, les jeunes qui étaient éduqués avec les anciennes valeurs, cet esprit religieux, c'est très important. Par exemple, en Ethiopie, dans de très nombreuses régions pratiquantes, il y a le respect du jeûne, le Carême, qui dure longtemps, de Janvier à Pâques.
Il y a un état d'esprit dans ce pays, consistant à ne pas manger trop de viande. C'est ainsi. Mais de ce fait, il y a une population animale de bovidés absolument considérable, qui dépasse à mon avis les 100 M de têtes de bétail. Ces animaux, ils mangent, etc, etc. Jeûner, la retenue de ne pas manger, de faire abstinence de viande, fait un peuple très particulier, qui se nourrit essentiellement de céréales et de légumes, et très peu. Cet aspect-là, fait qu'aujourd'hui, les jeunes arrivant dans le monde, et dans le monde du travail, veulent s'affranchir de cet esprit-là, de retenue, de ne pas manger de viande, de l'abstinence, de vivre ainsi, et de pratiquer la religion, de manière extrêmement intense, et même de pratiquer le guez pour certains. Donc, ils ne veulent plus. De ce fait, avec les nouveaux médias, les moyens de circulation beaucoup plus rapides, et dans les villes pour certains, l'usage du Kat, répandu par les musulmans d'Harrar, eh bien, les jeunes aujourd'hui veulent passer à autre chose.
Oui, il y a des dates. Nous sommes dans une vraie mutation, engagée depuis la reconnaissance de l'Erythrée (avril 1993). Ce sont les conséquences de la guerre du Golfe (1991-1992). A partir de ce moment-là, deux obédiences majeures en Ethiopie qui sont le Tigraï dirigé par Méles ZENAWI à cette époque-là, et les obédiences amharas dans la région d'Addis-Abeba. A partir de ce moment-là, il y a eu des frictions considérables avec l'établissement d'élections, avec en même temps une jeunesse vive, qui veut s'affranchir de tout cela. Le grand changement, qui tombe aussi à ce moment-là, c'est la fin du DERG. La fin de la dictature a créé un vide pendant quelques années, où il n'y avait presque rien à manger, presque pas de voitures, les infrastructures étaient très mauvaises.
Donc le développement de l'Ethiopie a commencé à s'opérer dans les années 1995-2000. A partir des années 2000-2001, effectivement, la diaspora éthiopienne, répandue en Italie, en Angleterre, et surtout aux USA, cette diaspora importante, dont certains éléments ont beaucoup d'argent, possèdent des fonds, ont voulu retourner à la terre, au pays, et y investir.
C'est ce qu'il en est. Parallèlement, les autorités du pays jouent une carte ouverte avec les acteurs internationaux, les investisseurs, la Chine, l'Inde, les pays du Golfe,vendent leurs terres et produisent des pays entièrement nouveaux, comme le soja, le palmier.
Le pays a joué cette carte, mais en même temps se produit un effritement considérable. Le dévelop-pement de l'islam crée un rapport de forces absolument considérable. Par exemple, la chaîne d'hôtels Shératon à Addis Abéba a créé un palace absolument gigantesque, à direction bicéphale, éthiopienne et arabe. Les Arabes y ont trouvé une implantation formidable.
Aujourd'hui, la Chine construit des quartiers considérables à Addis Abéba, des autoroutes, des buildings,etc. En ce moment, il y a un assèchement de certains lacs pour cultiver les roses, qui nous arrivent jusqu'ici. Il y a ce développement considérable, qui peut être positif pour certains en Ethiopie, mais il y a un appauvrissement des structures de la société, à cause d'une redistribution insuffisante des richesses.
Il y a un autre point très important aujourd'hui. On en arrive à ces valeurs essentielles avec la terre, la spiritualité, c'est l'eau. Depuis la nuit des temps, l'Ethiopie sait parfaitement que dans ses hauts-plateaux, se trouve énormément d'eau en saison des pluies, entre le mois d'avril et fin août-début Septembre, et que cela correspond à 60-70% de l'eau du Nil ; les deux Nil se retrouvent à Khartoum-Omdourman. Cette eau, on le sait depuis des siècles, même à l'époque sabéenne, depuis si longtemps : cette eau, elle est là, elle tombe, elle part. Donc, il n'y a quasiment pas eu de retenues d'eau, ce qui fait toute la différence avec le Yémen, qui a créé un réseau de canalisations, d'adduc-tions d'eau, avec 4-5 M de terrasses de cultures depuis la nuit des temps. Plus de 2000 ans.
En Ethiopie, ce n'est pas le cas. J'ai constaté qu'il y a eu des retenues d'eau dans la région du Tigraï, encore une fois, du côté d'Axoum et d'Adigrat, dans toute cette région autour d'Asmara, et en ce qui me concerne, le travail que j'ai observé là-bas, est un travail qui remonte à l'époque sabéenne, liée aux Yéménites. On boucle la boucle.
Aujourd'hui, il y a trois barrages en construction, créant de gros problèmes avec le Soudan, l'Egypte, bien entendu, qui d'ailleurs détourne l'eau du Nil pour créer des lacs dans le désert, des villes complémentaires.
Pour en revenir maintenant au sujet essentiel de cet entretien, à savoir la féerie et le spirituel, même s'il est bon de les confronter au monde réel et actuel, oui, ces aspects-là sont présents en Ethiopie et au Yémen.
Quand on va au Yémen et au Sultanat d'Oman, mais moins. Les Omanais s'y rattachent ; ils disent : « nous descendons des Sabéens ». Au temps de Mahomet, il y a eu l'éclatement des tribus sabéennes, et à partir de ce moment-là, tous ces royaumes n'ont plus existé, ils sont devenus ruines et poussières. Tout a évolué. De multiples communautés se sont dispersées dans différentes régions. A l'avènement de l'Islam, au Maghreb, de très nombreux Maghrébins, se considèrent descendants des Arabes du Sud, du Yémen. Djebel Tarîq, c'est Gibraltar, etc.
L'Ethiopie entretient une relation singulière et unique au monde avec l'Islam. A partir du moment où il y a eu l'Hégire, une partie de la famille de Mahomet a quitté la Mecque et Médine, et par un concours de circonstance s'est retrouvée au Yémen, et ensuite du côté de Massawa, et a été recueillie et protégée. Encore aujourd'hui, la relation entre l'Ethiopie et le monde arabo-musulman est spécifique parce que cette mémoire perdure.
Cet aspect spirituel et féerique est très important. Oui, au Yémen on sent qu'une grande, une très grande civilisation, a vécu et perdure par l'architecture, par le mode de vie, par un certain nombre d'expressions, et aussi par le système mental, quand même, l'arithmétique, les mathématiques, tant un certain nombre de choses sont évidentes dans cette région.
En Ethiopie, on sent cela, mais aussi qu'ils sont les gardiens de l'origine de la religion juive et chrétienne, et ils le revendiquent. Ils ont même un certain dédain à l'égard des Européens, une méfiance qui est liée, et d'ailleurs cette exposition (à l'espace où nous nous trouvons) parle allègre-ment du prosélytisme au 15° siècle, de la venue des Jésuites, des Prosélytes, pour mettre les Ethiopiens sur le droit chemin. On considère alors que leur orthodoxie n'est pas bonne, et que c'est une sorte de mélange entre les animistes, les juifs et les chrétiens. Un creuset très original.
L'adoration en Ethiopie est beaucoup plus vive qu'au Yémen, où 99% de la population est musulmane, donc on ne déroge pas, que l'on pratique ou pas. De très nombreux Yéménites ne pratiquent pas, ou à leur manière, parce que c'est ainsi. Mais, au centre et au Nord de l'Ethiopie, la pratique et l'esprit religieux, teintés d'animisme, sont très importants.
Je me disais, en préparant les réponses à tes questions, une grande partie du monde, comme la nôtre, où l'on accroche encore les hiboux, les chardons aux portes, les crapauds on les tue, face à la crainte des esprits, des mauvais esprits on en a peur. En Ethiopie, ce qui perdure, c'est la crainte du mauvais esprit, comme ailleurs en Afrique, Turquie, etc. Mais, ce qui est très particulier en Ethiopie, c'est cette crainte-là du mauvais esprit qu'on appelle le zar. Il suffit même de prononcer le zar, c'est pas bon ! Et toute interaction est liée à çà.
Aujourd'hui, en Ethiopie, avec le tourisme, on s'accommode des étrangers, occidentaux, indiens, juifs - beaucoup y viennent en visite – parce qu'on en tire des subsides, et pas n'importe lesquels. Pour visiter Lalibela, il faut payer grassement, idem pour toute église, etc. mais, néanmoins, j'ai eu des expériences très étonnantes, et je voudrais t'en parler d'une.
Je suis allé avec mon fils Jonathan aux extrêmes sources du Nil pour y faire une étude sur le paysage, le départ du fleuve, avec le texte de Jamieson BRUCE (1763).Nous étions tous les deux, deux blancs, deux farandjs ; on marchait, les gens ne comprenaient pas ce que l'on faisait, et à un moment, évidemment, on avait décidé de camper pendant deux jours.
En fait, on était embarrassé, il y avait plein de gosses, de gens autour de nous, nous étions étonnés, et nous avons demandé à un paysan où nous installer sur son champ, pour ne pas le faire n'importe où. Nous y avons planté la tente, mais entourés d'une telle foule de gens, des centaines et des centaines, qu'il a fallu pour ne pas être piétinés, ou simplement installer la tente, placer autour des petites baguettes de bois pour délimiter le terrain.
C'était très gênant, indisposant, de se retrouver là, mais c'était ainsi, Durant toute la nuit, personne n'a dormi, et eux, des centaines et des centaines, que j'ai évalué entre 500 et 800, qui se sont installés un peu plus loin de nous pour psalmodier des incantations. Nous étions très fatigués, et perplexes. Cet aspect-là m'intéresse beaucoup, j'ai une formation d'ethno-anthropologue, et nous étions abasourdis par cette nuit blanche, sans lune, dans le noir total. En fait, je me suis rendu compte d'une chose. Le lendemain, nous sommes allés à l'extrême source du Nil. Il se trouve que j'avais un bout de pain, nous étions à jeûn, et je l'ai effleuré à ma bouche, et un gamin m'a vu, et m'a ensuite interdit de toucher l'eau de la source du Nil parce que je l'avais souillée.
- Parce que tu étais dans un endroit très sacré, comme les bois sacrés de Casamance où règne le Fétiche, interdits au non-initiés. C'est la même configuration de la pensée magique appliquée aux lieux où résident les dieux...
Absolument, l'autre chose à retenir dans cette histoire-là, c'est que nous, nous étions étrangers à cette région, nous étions blancs, farandjs, et que nous étions sans doute porteurs de mauvais esprits, de mauvaises choses; Et donc, il fallait retenir, malgré notre présence, aimable et gentille, tout ce qu'on avait de mauvais en nous, et c'est pour cette raison qu'ils ont chanté et psalmodié. Il ont créé une barrière.
-
Dans leur grande sagesse, les arabo-afro-mususulmans répondent « Haleikoum Salam » après « Salam Haleïkoum - Salut à toi », ce que tout le monde sait. Par contre, beaucoup d'étrangers ignorent que cela signifie aussi « Salut à toi, et à tes anges... » L'Africain sait en un regard qui tu es, et quelles sont les puissances qui éventuellement t'accompagnent, amenant la baraka ou le mauvais oeil. Si tu es faible ou fort. Leur attitude va s'adapter spontanément « selon tes anges, » Un échange dans l'invisible en concordance avec leurs dieux.
Oui, ils font la part des choses, en fonction de qui tu es.
- Et en ce qui te concerne, tu aurais pu négocier le sacré en quelque sorte. Parfois, un sacrifice arrange bien les choses. Incantation pour incantation.
Mais là on ignorait un certain nombre de choses. Dans ce coin-là, le lendemain, et j'y suis retourné plus d'une fois, les femmes ne sont vraiment pas les bienvenues, elles n'ont pas le droit de toucher l'eau.
Passons à autre chose, tiens, là, les croix éthiopiennes. Celles qui sont portées sur des cannes sont intéressantes par leur support. En Ethiopie, on s'est approprié deux valeurs. Ici, c'est la croix de Jésus-Christ crucifié au centre, avec la représentation fréquente de certains apôtres, six ou douze, mais dans l'aspect, liées à ces croyances, à ces valeurs fondamentales, qui sont à mon avis animistes à l'origine. Il y a ce support qui soutient la Croix sert contre les mauvais esprits, encore une fois contre le zar.
C'est-à-dire, cette croix elle est portée : il y a le sol, il a ce qui amène vers le céleste, vers l'au-delà, la spiritualité, la sagesse, et entre les deux il faut qu'il y ait des pattes, des bestioles qui retiennent les mauvais esprits au sol.
- Est-ce que la Croix au départ dans notre culture avant de devenir chrétienne n'avait-elle pas ce rôle magique-là ? C'était bien un symbole universel à l'origine permettant de conjurer quelque chose.
Oui, tout-à-fait. Dans cette croix-là il y a des oiseaux. Ils volent, ils ont un pouvoir, mais ils peuvent s'arrêter. Ils sont là, ils surveillent. Ils sont là de part et d'autre. Mais il y a également des serpents. Cet animal a le pouvoir de piquer et de surveiller. Plus important au Yémen encore, et cela remonte à l'époque sabéenne. Il y a souvent des serpents maléfiques et dangereux, mais on en a besoin, parce qu'ils nous permettent de surveiller et d'attaquer ceux qui nous veulent du mal.
J'essaye de faire la part des choses, entre la nature, ce qu'a apporté la nature avec ses contradictions, ses effets, ses contradictions, ses désastres. A partir de là, l'homme, les animaux se sont adaptés à cela, on a créé des totems, des gri-gri, et des civilisations magnifiques ont vu le jour. Maintenant, on est quand même dans des interactions très rapides, et perturbantes.
Notre goût, notre sens de la vie, c'est d'essayer de décrypter les choses, mais tant de personnes zappent. Il y a trop d'informations. Un vrai déluge communicatif.
Il y a toujours ce rapport entre le bien et le mal, ces scènes sanglantes qui sont représentées, comme nos icônes d'antan du Moyen Age. Saint Georges est omniprésent. L'Ange ailé face à la Bête, et l'animal qui est l'intermédiaire.
-
Pour conclure, il est regrettable que toute cette richesse reste méconnue du grand public, mis à part les clichés habituels, et des émissions-ci et là sympathiques avec des vedettes (Adriana KAREMBEU).Et c'est très méritant d'avoir créé L'Espace Reine de Saba. Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ?
J'ai donné de très nombreuses conférences et expositions en France, ou de par le monde. Cela représente, comme à l'IMA, entre 1 et 4 ans de travail. C'est très difficile, très long. Et parfois, l'essence même du concept d'une exposition peut se trouver modifié. Pesons les mots. Je me disais du temps de Théodore MONOD qu'il était peut-être plus facile d'avoir les rênes, c'est-à-dire de créer un espace ouvert au public, et d'avoir cette possibilité de créer des expositions, offrant plus de possibilité qu'il y aie un public ou pas. Et bien, là, il y a cette opportunité de créer des expositions, et des échanges documentaires. Ceci est le but.
Parallèlement, c'est vrai que ce sont des sujets assez complexes, et ce n'est pas très évident que de parler de l'Ethiopie ou du Yémen. Là, nous en sommes à la 65° exposition. Pour l'Ethiopie, ce n'est pas si difficile, il y a un public cultivé et spécialisé, et curieux, s'intéressant à cette région singulière portée par la religion et la spiritualité.
Le Yémen, aujourd'hui, a moins la cote, vu les évènements qui s'y passent. Et j'ai énormément de mal à passer cette rampe, les gens sont dans leur propre schisme, gavés d'informations médiatisées, souvent tronquées, et cela pose un gros problème. Néanmoins, c'est bien de poursuivre cela.
Je choisis de travailler sur des thèmes spécifiques, par exemple nous allons réaliser quelque chose sur le Yémen à travers les BD, auquel j'ai participé voilà dix ans. On va décrypter la situation du Yémen après le 11 Septembre. Je prépare également une exposition sur la myrrhe et l'encens, leur symbolique, que j'ai proposée à l'IMA. Je veux parler aussi de Moka, capitale mondiale du café que presque tout le monde ignore. A travers le café, nous parlerons des échanges entre les Ethiopiens - le café est d'origine éthiopienne - et les Arabes, le trafic commercial, les découvertes, l'esclavage, etc. Et puis, ce qu'a apporté le café dans le monde. Ce sont là des opportunités qui permettent d'apporter des réponses.
-
Enfin, je ne ne résiste pas à te poser la question du cas d'Arthur RIMBAUD. Qu'est-ce que ce fils des Ardennes était venu traîner ses guêtres aux pays de la mer Rouge ? Tu connais très bien le sujet, toi qui t'es occupé de la Maison Rimbaud à Aden. Je suis sûr que tu connais autant ce sujet que tous ceux que nous venons d'évoquer, sinon plus...
Oui, c'est une quête que je poursuis encore...
- Les Ardennes sont aussi un pays très féérique. Pour preuve, le Festival des Légendes créé à Monthermé (08). La Meuse, les quatre Fils Aymon, le cheval Bayard, Charlemagne, etc. Je peux comprendre que RIMBAUD se soit retrouvé en Ethiopie.
Voilà, il y a un effet de circonstances. RIMBAUD, durant sa période de poésie, très tôt, à l'âge de 12 ans, s'intéressait évidemment à l'écriture. Il pensait qu'à travers l'écriture et la poésie, on allait changer le monde, c'était la nouvelle modernité, aujourd'hui, il y en a qui pensent qu'on change le monde ainsi. Lui, à travers l'écriture et la poésie, il pensait que le monde allait changer. A l'époque, il y avait l'absinthe, la marijuana, l'alcool, qui étaient là, et qui pouvaient aider éventuellement.
En même temps, effectivement, il était un peu coincé dans les Ardennes, c'est fort, mais c'est très gênant, l'humidité, etc. Il y avait aussi une très grosse contrainte venant de sa famille, et il ne s 'en sortait pas. Très grande force spirituelle venant de son père, jamais présent, mais il savait qu'il était loin d'être bête ; arabisant, il avait traduit le Coran, etc. Le père présent, le père absent, le père violant. Le père qui fait quatre enfants, dont une qui décède. Le père militaire. Le père qui part en Algérie. Il y a tout cela derrière.
L'aspect éducatif, chez lui, est une chance quand même. Jeune, il avait la pêche. Il a quand même rencontré des enseignants autour de lui, des poètes qui l'ont guidé, et il s'en est servi aussi. De ce fait, cette nourriture terrestre, spirituelle, intellectuelle, l'ont guidé peu à peu à se confronter avec d'autres, Verlaine, les Parnassiens, François COPPE, et à tas d'autres poètes qu'ils dénigraient.
Il s'est confronté à lui-même. Il s'est ouvert à la reconnaissance de Jésus. Intéressant.
Dans Une saison en enfer c'est parfaitement évident. Peu à peu, il s'inscrit dans une démarche spirituelle, comme prophétique. Il est presqu'un prophète. Il se rend compte que cela ne marche pas, et qu'il envoie à tous ces pignoufs derrière.Verlaine lui tire dessus, etc. Il envoie paître tout le monde.
A partir de là, très rapidement, sa sphère géographique, s'est étendue. Ce n'était plus les Ardennes, plus Charleville, plus Roche, plus Paris, mais Londres avec Verlaine. Après, ça été Vienne, Stockholm.
Après, ça a été de partir plus loin en tant que trouffion, engagé dans l'armée hollandaise, puisqu'il est allé jusqu'à Java. Donc, l'aspect planétaire a été pour lui très important. Il est passé à Ste Hélène. Le gars avait une connaissance de la géographie assez forte, et il s'est lancé dans des histoires invraisemblables. Ensuite, quand il a travaillé à Chypre, il est allé là-bas pour un chantier. A l'époque, comme aujourd'hui, d'ailleurs, les contacts que l'on a ici ou là, en voyage, t'indiquent d'autres pistes pour travailler, voyager, etc. Ca été une chaîne, le cas pour Chypre, pour aller en Egypte. Une fois en Egypte, pour aller travailler du côté d'Aden. Il y avait une trame, un concours de circonstances.
- Et il s'est sans doute souvenu aussi du « Voyage en Orient » de Gérard de Nerval... C'est un destin poétique aussi d'aller en Orient, comme Baudelaire, même s'il s'est arrêté aux Antilles.C'est toujours vers « l'ailleurs. »
Oui, aussi, comme CHATEAUBRIAND, Jules VERNES. RIMBAUD était nourri de ces lectures. Tout cela est somme toute logique. Par contre, il s'est retrouvé coincé dans sa situation initiale.
Sauf qu'il était dans des terres où il a pratiqué des langues, où il a globalement aimé les gens du pays. Mais, apparemment, il s'est mis peu à peu dans une phase dépressive.
- Quelque part, il s'est retrouvé dans les Ardennes...? Il a traversé l'océan avec sa problématique, et il l'a retrouvé sur place, car elle ne l'avait pas quitté. Ce n'était pas un peu le cas ?
Si, il écrivait beaucoup. Au sommet de l'écriture. De temps en temps, il avait des soubresauts, très positifs ; commander un appareil photo pour faire quelque argent, acheter des bouquins pour construire des ponts, parce qu'il étaient en relation avec des gens puissants aussi. Il avait des idées, mais il se perdait dans le temps. Il faut gagner son pain. On devient abruti. Nos cheveux deviennent plus blancs qu'en Europe, etc. Il n'a pas eu trop de chance quand même, parce que sa petite soeur Vitali étant morte de la gangrène à 17 ans, à la suite d'un cancer des os, lui, c'est ce qu'il a eu.
Alors, on dit qu'il s'est cogné contre un rocher, etc. La gangrène était peut-être le terrain favorable. Plus la fatigue, un moral semble-t-il très bas. N'empêche qu'il y a gagné beaucoup d'argent. On l'ignore. Il était assez apprécié des gens du pays. Mais sa présence dans ce coin-là devait pour lui être très forte et très bonne. Harrar était une ville très forte spirituellement, il était ami avec des Capucins, des hommes très tolérants, s'occupant des lépreux, etc. et aussi avec des Juifs, des Grecs, etc. C'était une diaspora extraordinaire là-bas.
RIMBAUD a trouvé là-bas son compte d'une certaine manière. Personnellement, affectivement, peut-être pas trop. Il a aussi écrit un rapport sur l'Ogaden, à la suite d'une mission avec l'explorateur Jules BORELLI. Très peu le savent, c'est prodigieux. Ce rapport est fondamental pour la compré-hension de l'histoire du coin. D'autant plus que ses conclusions ont servi à la création de la ligne de chemin de fer entre Djibouti et Addis Abéba.
C'est un personnage qui compte de différentes manières. Quand j'étais président des Amis de RIMBAUD, je le suis resté 5 ans, on m'a demandé un peu de céder la place. Parce que l'éclectisme, le côté universel que j'aime chez RIMBAUD, dérangeait.
- En France, il faut rentrer dans une case, et surtout y rester, comme d'habitude...
A travers toutes nos discussions, je fais un lien très fort, son enfance, sa petite enfance, l'histoire de ses parents et sa vie par là-bas. C'est logique. Au bout d'un moment, il n'était pas content, il voulait aller constamment à Zanzibar, à tel point qu'il y a des crétins qui font des expositions sur Zanzibar et RIMBAUD. Il voulait aller au Japon, à Panama pour le Canal de Panama. Il était curieux de tout. Et en même temps, c'était des chemins presque bloqués. Qu'est-ce qu'il allait faire au Japon ?
- C'était un génie universel, il avait le feu en lui, et il avait trouvé sa liberté là-bas...
Propos recueillis par © Eric LE NOUVEL, le 5 Décembre 2012.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Un additif à l'interview et au sujet inépuisable de SALOMON et de la REINE DE SABA...
J'ai retrouvé dans le livre « Discovering the Israelite identity of the Pyramid Builders » (Vol 1, n°5) par Ed METZLER (Baalschem Press Herborn, 1989) l'hypothèse suivante sur le Roi Salomon et la Reine de Saba.
Dans la lignée de son étude :
-
Le Joseph de la Bible, fils de Jacob, marié à Aseneth, fille du Grand Prêtre d'Héliopolis, serait identifié à IMHOTEP, conseiller du Pharaon DJOSER créateur de la Pyramide de Saqqarah.(p.6)
-
un décalage de -500 ans dans l'histoire égyptienne cache certaines vérités, selon les travaux d'Emmanuel VELIKOVSKY,(p.5):
-
« Les pyramides furent construites par le peuple d'Israël,(...) et après leur Exode à la fin de la 12° dynastie - soit 1441 avant JC - plus aucune pyramide ne fut construite en Egypte.Ce qui est confirmé par Flavius Joseph... » (p.14)
-
« L'Exode des esclaves hébreux fut favorisé par l'activité géosismique issue à la fois de l'explosion du volcan de Santorin en -1441 av JC, et du tremblement de terre qui éleva le niveau du Nil à Semna pendant le règne du Pharaon AMENEMHET III, et rendit la traversée de la Mer Rouge possible par le peuple d'Israël. » (p.16)
-
« La reine égyptienne HATCHEPSOUT est identifiée à la soi-disante Reine de Saba (son propre nom, et non pas d'origine géographique) qui rendit visite au roi Salomon d'Israël... , peut-être en tant que soeur de l'épouse royale égyptienne.» (pp.18-19)
-
Le Roi Salomon fit construire le premier Temple de Jérusalem dans la 4° année de son règne (961 av JC, soit 480 ans après l'Exode (-1441 ac JC).
-
« ...en pré-datant le règne de la Reine HATCHEPSOUT d'environ 500 ans, en même temps que le début et la fin de la période des pyramides avant elle, est une tricherie antisémite qui fausse Israël de son histoire, discréditant l'historicité de la Bible hébraïque, et en la transformant en un livre de contes de fées religieux, exploité par une théologie visant à favoriser le préjudice antijuif et la superstition. » (p.20)
-
« Le Roi Salomon est identifié au Pharaon TOUTMOSIS II, le mari de la Reine HATCHEPSOUT, et père de leur fille unique NOFRU-RE, et de son demi-frère, le Pharaon TOUTMOSIS III, avec qui elle devait se marier. » (p.26)
-
« ce qui est décrit et dépeint comme Pount ou Phénicie sur les Temples d'HATCHEPSOUT et de TOUTMOSIS III représente la culture israélite pendant son âge d'or, selon la vision des contemporains du Roi Salomon. » (p.27)
Alors, mon cher Marie-José, que penses-tu de ce non moins fabuleuxcome back égyptien...?
(à suivre)
© Eric LE NOUVEL
Toutes photos, source Wikipédia, excepté José-Marie BEL et Erythrée (c) Eric LE NOUVEL.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Espace REINE DE SABA - José-Marie BEL
30, rue Pradier - 75019 PARIS
T : 01 43 57 93 92
www.espacereinedesaba.org – e-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.