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INTERVIEW DE TUDOR BANUS : LE CODE DE FEERIC 

dans son Atelier de Nogent-sur-Marne (94)

par Eric LE NOUVEL & Catherine RAMEAU-DELAPIERRE en Octobre 2007

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  • Tudor, sans trop extrapoler, est-ce que l’on pourrait dire que tu témoignes comme illustrateur d’une certaine représentation du monde, d’un courant de l’imaginaire, qui traverse le temps ?(Contes de Grimm, l’Illustration, Rackham, Dada-les Surréalistes, Magritte, Dali…), même si ce courant en en régression depuis la fin du 20° siècle.

  • Que penses-tu de la production actuelle des jeunes illustrateurs ?

  • Tu es un illustrateur éclectique, secret et surprenant : Grimm, Jack London, Jules Verne, la Shoah, l’Islam, les couvertures presse, etc.

  • Le rôle de la racine roumaine ?

  • Ta conception de la saga « Féeric, les Lieux magiques. »

  • Qu’est-ce selon toi la « féerie initiatique ? »

  • Tes commentaires sur le courant féerique qui se développe en Europe, et en particulier en Belgique, à la suite du « Seigneur des Anneaux », d’ Harry Potter, etc. ?

 « FEERIC CONTIENT UN CODE DE SAVOIR APPLIQUE A SON IMAGE... »

 

En ce début de nouveau millénaire, l’imaginaire est en baisse. C’est l’époque. Elle ne fait que subir un travail de sape, pas seulement de l’imaginaire, mais au niveau de l’humain, dans son humanité et dans sa psychologie, au moins depuis quelques décennies.

 

N’allons pas jusqu’à l’industrialisation mécanique, suivie par l’industrialisation électrique et électronique. Mais on voit à travers l’institutionalisation de l’art contemporain, comment il y a une action de lobotomisation, et d’amnésie voulue par rapport à l’histoire de l’art, au passé, à tout ce qui crée l’humanité dans l’homme.

 

Ceci dans le but de créer des gens manipulables comme l’autre régime dictatorial avait les ingénieurs de l’âme qui essayaient de construire l’homme soviétique.

 

Ici, on essaye de créer des bons consommateurs. Point. C’est-à-dire un sac de protéines, qui sont prêts à faire ce qu’on leur dit de faire, ou ce qu’on leur inculque.

 

Donc là-dedans l’imaginaire n’est qu’une petite partie de la psychologie de ce pauvre sac de protéines, qui est envoyé payer à la caisse, et c’est tout. Tout ce qu’on lui demande, c’est de payer.

 

Donc l’imaginaire en souffre, et l’imaginaire en souffrance se comporte comme une blessure et ça fait une bosse.Là, l’imaginaire est en demande.

 

Il y a une réponse à faire à cette demande qui, effectivement, vu la disparition du religieux, Est remplacé par un nouveau Dieu, si l’on peut dire, qui peut s’appeler Harry Potter par exemple. Qui remplace l’imaginaire de légendes, de mythologies, de tout. Il recrée un monde, Harry Potter.

 

Donc, çà, c’est la nouvelle nourriture spirituelle. Et pourquoi pas, puisqu’il leur faut bien quelque chose aux gens , les jeunes surtout, qui aspirent à mettre quelque chose à la place. Ils s’en nourrissent.

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- Tolkien, le Seigneur des Anneaux ?

 

Je connais mal. Je ne vais pas m’avancer.

 

- La tradition de l’imaginaire depuis les Contes de Grimm ?

 

Les contes de Grimm font partie de la grande famille de contes et légendes qui ont nourri l’enfance de tous les enfants de Roumanie, et cela a été un peu la base pour leur moral.

 

Beaucoup plus que ce qu’ils voyaient dans la société, qui était un exemple de perversion et d’hypocrisie généralisée, presque schizophrénique, puisque les gens pensaient une chose et parlaient autre chose.

 

Donc, les contes et légendes mettaient des couches superposées de quelque chose qui est resté dans leur tête, et qui forme un peu la base de l’âme du peuple roumain.

 

- …et occidental ?

 

Oui. Sûrement, c’est universel. Chez nous, il y avait Grimm et des auteurs roumains, ou du folklore roumain. En France, il y avait Grimm, Perrault et bien d’autres.

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- Gustave Doré, Rackham…les bâtisseurs de cet imaginaire…les dessinateurs, qui traversent le temps, qui a compté pour toi ?

 

Il y en a des dizaines et des dizaines. En ce qui me concerne, mes maîtres pour ainsi dire, involontairement à travers leurs traces qui sont les livres, les images qu’ils ont laissées, et qu’on pouvait avoir en Roumanie. Cela partait de Bosch, Brueghel, Dürer, et bien d’autres en passant par Hogarth, Callot, jusqu’à Gustave Doré, et bien d’autres plus proches de nous en passant par l’art nouveau, les surréalistes, bien sûr.

 

Ce n’est pas Rackham plus qu’un autre, mais un parmi d’autres.

 

En Roumanie, on avait besoin de l’imaginaire comme exutoire, pour ne plus voir parfois le réel, et pour le mettre à la place du réel, parce qu’il était trop sordide parfois.

 

Donc, c’est pour cela qu’on en avait grand besoin. Une fois qu’on s’est imbibé de toutes ces œuvres imaginaires, on les ressort à travers le dessin, la peinture.

 

Ce n’est plus uniquement l’imaginaire, qui lui-même se nourrit du réel, mais c’est aussi une partie du réel qui se retrouve représenté dans mes peintures parce que c’est un petit dialogue entre ce qui nous entoure et le travail artistique.

 

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- Et les jeunes illustrateurs qui dessinent avec leur ordinateur, où est leur imaginaire, et celui de leurs lecteurs ?

 

Je participe au Jury de l’Ecole Estienne, je ne sais pas si c’est un bon exemple. Quand on se réunit autour de 150 caricatures, la différence entre ce genre d’humour et de graphisme est relativement petite, comme s’ils étaient préformatés en fait par la presse quotidienne qu’on voit partout.

 

Le fait d’imiter, est normal pour les jeunes puisqu’on commence toujours par essayer d’atteindre un maître. Mais ce qui est beaucoup plus nuisible, c’est l’absence d’enseignement artistique au niveau du dessin. On enseigne peut-être pour des publicitaires, c’est-à-dire des minima vitaux pour avoir un emploi.

 

La chasse à la survie post-études prime ; et ils vont vers le marketing, vers certaines maisons d’édition, rédactions de presse et surtout publicité, qui est en régression elle-même. Et ils se nourrissent de stocks d’images, ou des images créées par ordinateur, qui évidemment ne sont pas susceptibles de favoriser l’éclosion de l’imagination.

 

- Y a-t-il des catalogues Tudor Banus, ou au contraire pas du tout ?

 

Il y en a, mais qui sont insuffisants puisque évidemment on ne peut pas mettre une trop grande variété de genres dans le même. Il en faudrait d’autres par genre en quelque sorte, puisqu’à la fois je menais une vie d’illustrateur, et une vie de peintre et de graveur.

 

Donc, celle de l’illustrateur s’adapte à une grande diversité de commandes.

 

Celle du peintre se rapproche d’une certaine cible que l’on poursuit pendant toute sa vie, et qu’on essaye d’accomplir tableau après tableau pour s’approcher d’une certaine vérité personnelle.

 

- Quelle est l’œuvre qui te tient le plus à cœur aujourd’hui ?

 

Il ne faut pas demander ça à un papa de favoriser ses enfants ! J’aime autant les choses anciennes que les récentes.

 

- Par contre, si tu avais tout le temps et les moyens, qu’est-ce que tu aimerais faire que tu n’aies pas encore fait ?

 

Des très grands dessins ou des très grandes peintures.

 

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- Sur quel sujet ?

En fait, je voudrais marier le réel et l’imaginaire, inventer. Ce que j’essaye toujours, c’est de me surprendre.

 

C’est-à-dire un remède absolu à l’ennui de la vie réelle et de la condition humaine, et contemporaine encore plus. Donc, on essaye de se désennuyer par une surprise qu’on se fait à soi-même. De trouver des liens nouveaux entre le réel et l’imaginaire dans une geste artistique.

 

- Pour conclure, qu’aurais-tu à dire sur les personnages de « Féeric, les Lieux magiques » dont tu es le père en tant qu’illustrateur, et sur sa saga présente et à venir ?

 

C’est plutôt avec une vue de jardinier, il faut mettre des graines, soigner des plantes, les arroser, en sorte qu’elles deviennent belles et intéressantes.

 

Au fur et à mesure de ce travail collectif que nous faisons, et je ne l’assume pas tout seul, j’espère qu’il va devenir un petit personnage ou plusieurs personnages, avec le(s)quel(s) on s’habitue tellement qu’ils font partie de la famille.

 

- Tout le monde ne sait pas que ton style de dessin sur Féeric renvoie au magazine « L’Illustration », une référence graphique à un certain passé.

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Il y en a plus qu’on en pense. Soit, il y a des dessinateurs qui ont fait avancer le graphisme, la représentation humaine, de l’homme sous toutes ses formes, mais il y a un langage, et celui-ci a dû être fait lettre par lettre, syllabe par syllabe, jusqu’à ce qu’il devienne par un dessinateur d’une grande virtuosité.

 

Maintenant, eux sont comme des maîtres qui nous montrent le chemin, et il faut qu’on arrive à suivre, sans en poursuivre un en particulier.

 

Ils nous enseignent qu’il faut à la fois être personnel, et à la fois tendre vers ce langage riche et subtil qu’ils ont inventé, eux, et dont nous sommes les héritiers.

 

- Est-ce que par tes oeuvres et ton style, nous retrouvons ce courant continuel de l’imaginaire?

 

J’espère que la tradition se retrouvera en permanence dans ce que je vais faire autour de Féeric, puisque c’est à la fois par l’esprit et par le langage graphique qui témoignent de la permanence de cet acquis qu’ on peut nommer de diverses façons.

 

On a mis au point pendant des siècles cette façon de transmettre un reflet du réel à travers des images graphiques, gravées, noir et blanc, etc., dont je me considère l’héritier de ce langage que j’essaierais d’employer pour démontrer la continuité dans le temps.

 

C’est le contraire de l’amnésie voulue, commandée par le non-enseignement de l’histoire de l’art, et des techniques de l’art dans l’enseignement français actuel.

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  • A ce propos, peut-on parler d’un code pour Féeric par rapport à ce que tu viens de dire.

 

Cet acquis qui se transmet, la façon de l’exprimer est bien comme un code ?

 

C’est tout-à-fait un code, et il y a des gens qui peuvent reconnaître dans une image même infime qu’il y a un rapport au passé, à un certain passé riche d’esprit, puisque il a fallu – si l’on voit par exemple un petit chien de Jacques Callot, un mendiant ou n’importe qui.

 

On voit la sensibilité, la Renaissance italienne, on voit tout ce que ça comporte de richesse transportée par le langage graphique. C’est un code de savoir qui s’adapte à l’image. 

 

© Tudor BANUS et Eric LE NOUVEL

 

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