LE RÊVE EVANOUI DE MEREVILLE

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Dans la lignée du Désert de Retz à Chambourcy (78), nous continuons de visiter le courant paysager des Jardins à l’anglaise, ou à la mode anglo-chinoise, succédant vers 1770 à l'institution du Jardin à la française. Un chapitre important dans l’histoire de la Féerie de notre cher Royaume.

A 70 km de Paris et à 15 km d’Etampes, au coeur de l’Essonne, subsiste le Domaine de Méréville, sur 90 Ha. Classé monument historique en 1970, acquis par le Département en 2000, réorganisé à partir de 2004, il s’ouvre à nouveau au public les week-ends en 2018.

Miravilla en latin signifie « maison particulière. » Comme le lieu contenait des marais en plus de la rivière, nous nous amusons à interpréter Méréville, en ville des marais. Rajoutons que mara en hébreu nous amène aux eaux amères, à interpréter peut-être avec le destin cruel de son fondateur. Mais cette racine est aussi celle du prénom Myriam, Marie, et sa promesse d’engendrement, matrice de création de Mère Nature.

 

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Aux 11° et 15° siècles, deux châteaux furent édifiés à l’ancien emplacement. En 1784, la Seigneurie est acquise par Jean-Joseph de LABORDE. Dix ans de travaux sont nécessaires pour l’agrandissement de la demeure et l’aménagement du parc, en particulier grâce au concours du célèbre peintre Hubert ROBERT en 1786. Le budget total s’avère faramineux, l’équivalent de 10 M € !

L’ouvrage juste terminé, le couperet de la Révolution tombe aussitôt en 1793 : le propriétaire est arrêté, et son bien mis sous séquestre.

En 1794, Jean-Joseph de LABORDE est guillotiné. Pour la suite, voir l’histoire complète.

 

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Le Parc paysagé de Méréville est la réalisation accomplie du courant artistique et philosophique du 18° siècle, et prolongé au siècle suivant. Dans la digne tradition de Rousseau (La nouvelle Héloïse), le Hameau de la Reine Marie-Antoinette à Versailles, etc., la nature est à nouveau glorifiée, la mode aux charmes champêtres, sans oublier l’aura des canons de la beauté et de la mythologie gréco-romains.

Le parcours idéal est de se promener dans une campagne préservée, en apparence non organisée, via les étapes nécessaires à un émerveillement progressif. L’émotion s’accompagne de la dramaturgie propre à l’apport de la culture chinoise.

 

 

Ainsi, on chemine de surprise en surprise, de château en pavillons, de fabrique en fabrique (fabrica : oeuvre d’art), de grottes en escaliers, de rivière en cascades, d’île en île, d’un pont à l’autre, de bosquets en futaies d’arbres remarquables, de Colonne Rostrale commémorative en Colonne Trajane - belvédère de la Beauce de 36 m, etc.

La contemplation et la rêverie varient selon les différents points de vue et leurs combinaisons, les heures du jour et de nuit (lune). Et surtout l’énergie des saisons, la véritable orchestration de la pièce. Un véritable art de vivre inscrit dans une créativité permanente et sans limite.

 

 

« LES QUATRE SAISONS A MEREVILLE

A Méréville, le mardi s’est tu et la poésie s‘est faite lumière…Le regard photographique, un peu peintre, un peu jardinier, s’est saisi du paysage dans sa mobilité même. Car si le temps des hommes semble s’être arrêté sur le parc abandonné, plus que jamais celui de la nature est à l’oeuvre. Ce qu’il s’agit de capter et de restituer pour Jacqueline Salmon, ce sont ces incessantes et presque imperceptibles transformations, ce mouvement essentiel pour les contemporains de Monsieur de Laborde, qu’il s’agisse de Carmontelle (1), de Saint Lambert ou de Girardin. Ce dernier, dans son traité De la composition des paysages, médite, dans un de ses plus beaux chapitres intitulé « Du cours des Vallons, du Jeu du Terrain et des mouvements de la Lumière », sur la manière dont le jardin doit suggérer, par ses formes mêmes, cette fluidité qui entraîne les êtres et les choses.

 

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« L’idée de mouvement que donne la progression du cours d’eau peut se suppléer très agréablement par les différentes formes du terrain et la progression du cours des vallons qui excite toujours l’imagination à les suivre et les jambes à les parcourir dans l’espérance des nouveaux objets qu’on espère y rencontrer. » (René-Louis de Girardin - « De la composition des paysages ou des moyens d’embellir la Nature autour des Habitations, en joignant l’agréable à l’utile » - Genève, 1777).

Mais ce qui l’obsède le plus, c’est la manière de capter la lumière, de s’en saisir pour modeler le paysage : « Les arbres et les fabriques se tracent en ombres infiniment légères et transparentes sur le glacis de la rosée du matin et du soir ; et si les formes du terrain, les masses des plantations, les différents plans, les fuyants de la perspective et les coups de jour sont ménagés dans votre composition de manière à donner beaucoup de jeu aux différents effets de la lumière, qui est elle-même un fluide encore plus rapide et diversement coloré que le fluide aquatique, vous serez étonné de la variété continuelle qui jettera dans votre paysage le libre cours de la lumière. »

 

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Encore une fois, il semble que nous nous retrouvions plongé au coeur d’une grande peinture mobile, se transformant au gré de la course des nuages, du passage des heures et du rythme des saisons.

A Méréville, comme au XVIII° siècle, la « fluidité aquatique » reste omniprésente. La Juine, véritable âme du parc, signe de sa courbe inimitable avec le paysage. La grande Cascade aux eaux écumantes se fait entendre dans le lointain et réveille, l’espace d’un instant, la mémoire vive des peintures d’Hubert Robert. Et de grands pans de lumière se reflètent à la surface de ce qu’il reste encore visible du grand Lac. Le pont des Roches et ses grottes prolongent l’étonnement ressenti par les anciens visiteurs devant sa silhouette sublime, intacte. Plus loin, d’autres ponts improbables émergent des hautes herbes.

 

 

En captant l’impermanence de la lumière, la photographe réveille les sensations de la promenade, les émotions de la découverte. Si la mélancolie de l’abandon redouble avec les brumes de l’automne, l’hiver, d’un coup de pinceau aigu sur la neige, transforme tout le paysage en une peinture à l’encre de Chine. Le soleil, au printemps, joue entre les troncs serrés et s’attarde sur une touffe de jonquilles, tandis qu’auprès d’un trou d’eau, on voit voir flotter l’ombre du voile d’une nymphe.

Mais étrangement à Méréville, ce qui reste le plus visible, au terme de ces longues années d’oubli, c’est la part d’ombre du parc ; la grotte de la Cascade et celle de la Laiterie nous plongent dans le mystère et réveillent en nous le lointain écho des paysages fantastiques sortis de l’imagination de William Chambers.

L’enchantement continue et, soudain, on se prend à songer au réveil d’Hortésie. (1) »

in Le Jardin de Méréville - Textes de Monique Mosser - Photographies de Jacqueline Salmon, © Edition de L’Yeuse, 2004.

 

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Curieusement, tout ce retour à l’origine, à l’innocence bienveillante, aux libres désirs, est la pointe émergée d’un changement majeur et radical en gestation, qui va se dévoiler et faire basculer la société dans un nouvel ordre, et au prix fort. Le calme avant la tempête. A travers les lignes de cet esthétisme des Jardins, on pourrait y déceler aussi les signes avant-coureurs des découvertes technologiques du 19° siècle (photographie, cinématographe etc.), comme Gustave DORE, peintre et dessinateur, s’en fut l’écho.

Notre bilan de cette histoire est non pas le énième couplet sur la vanité des choses éphémères, mais sur le fait la nature reprenne ses droits absolus. Le regard, les réalisations de l’homme, aussi brillants soient-ils, deviennent un rêve évanoui. Ses projections éphémères et superflues ont disparu.

 

L’impulsion de départ relève du Sujet, et son accomplissement l’objective, fonde l’Objet. Mais le temps fige les choses, et la loi d’entropie arrive un jour. D’ailleurs, plusieurs bâtiments dont le plus beau, le Temple, furent déménagés rapidement dans d’autres propriétés. Rideau, la pièce est terminée, mais une autre commence, plus essentielle. La loi de la transformation, le Tao.

Aujourd’hui, bien des aménagements sont en ruine, comme les idées merveilleuses du passé, et ces traces peuvent prêter à la nostalgie ou au sourire. Par contre Dame Nature, dans son renouvellement saisonnier, échappe à la stabilité réductrice. Elle rayonne dans la durée, en réinventant le Sujet, mais non sans un certain vide nécessaire.

Car le nombre de MEREVILLE est 2/11 : amour-rupture, mais avec révélation. Dont acte. Grand Oeuvre spirituel, chemin de foi, certes, mais l’homme ne peut maîtriser ; il n’est que l’instrument du jeu vital. Aussi, point de projet hôtelier de luxe ou autre golf mené à bout, etc. N’attendez pas non plus d’y voir un jour un parc à thème du style Grand Siècle.

 

 

Le Château est fermé à la visite, qu’importe : seul compte sa place dans le décor. 
Attention, tous les accès aux sites ne sont pas ouverts, sauf avec le guide conférencier.

La continuité du Domaine est assurée dans son principe, en-tête, sous couvert de la Culture. 
Le reste est sans importance.

Ce chemin-témoin vous appartient maintenant dans la gratitude à qui vous voulez, ou à la merci de l’Insaisissable.

 

 

© Eric LE NOUVEL

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(1) Portraitiste. Créateur de la Folie des Chartres (futur Parc Monceau), où il déploya le long des promenades une suite de décors de théâtre et de féerie, dans une libre juxtaposition de lieux et d’époques différents. Et retranscrits par la suite dans une boîte à images.

(2) cf. Jean de la FONTAINE, Le songe de Vaux (17° siècle), célébration des merveilles du Château de Vaux-le-Vicomte (in opus cité). Hortésie, symbole de l’art du Jardin, l’emporte devant ses consoeurs de l’Architecture, de la Peinture et de la Poésie.

 

VIDEO

Rachat du château de Méréville

 

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